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ENTRETIEN DU MOIS : AMELIE AUBRY

Avril 2025 | Dans le prolongement du PR Lab, nous avons échangé avec Amélie Aubry, Partner chez Angie, de son expérience d’expatriée à Los Angeles à la transformation des formats, en passant par l’hybridation des modèles économiques et le rôle stratégique des agences dans un écosystème de l’information fragmenté. Elle partage avec peps ses convictions et son regard sur l’évolution du secteur.

  • Une « Frenchie » à LA | Tu es à l’origine de la thématique de cette édition du PR Lab, nourrie par ton expérience chez Edelman à Los Angeles. Au début de la conférence, tu t’es présentée comme « une Frenchie aux US ». Peux-tu revenir sur le choc culturel que tu as vécu en arrivant là-bas ?

Tout bon expatrié vit un culture shock en s’immergeant dans une culture qui n’est pas la sienne. Tous les acquis, les certitudes, les convictions volent en éclats. Chaque jour là-bas apportait son lot d’électrochocs. Pour n’en citer que quelques-uns : le rapport qu’entretiennent les médias avec l’entreprise est radicalement différent (moins de suspicion, plus d’adhésion) ; le peu de place accordée au débat d’idées et à l’actualité est frappant ; l’omniprésence des influenceurs, aux coûts faramineux et à la contribution souvent peu profonde, est déroutant. Heureusement, j’avais Erin Meyer et sa formidable Culture Map pour m’aiguiller dans la compréhension des différences culturelles.

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  • Un paysage médiatique en mutation : entre fragmentation et opportunités | On parle beaucoup de fragmentation, de défiance, d’algorithmes… Mais au-delà des constats, vois-tu des signaux positifs ou des raisons d’espérer dans la manière dont l’information évolue aujourd’hui, aux États-Unis comme en France ? Christophe Jakubyszyn a mentionné que Trump avait été « une belle chance pour les médias ». Qu’entendait-il par là ?

La fragmentation du paysage médiatique est une aubaine pour les médias – et leurs dirigeants – audacieux. Les fake news ont boosté la créativité journalistique, tandis que l’IA – malgré encore quelques hallucinations à corriger – a le potentiel pour devenir une future alliée de la vérité. J’ose espérer que Trump est un catalyseur qui réveille l’esprit critique, voire dope les abonnements aux médias garants d’une information fiable. La crise est un terreau fertile : l’information se réinvente, plus agile, plus proche et plus désirable que jamais.

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  • Nouvelles narrations : une inspiration ? | Les médias digital natives, comme Urbania, revendiquent une approche radicalement créative de la narration : nouveaux codes, formats courts, incarnations fortes… Est-ce que tu penses que les agences de conseil en communication devraient s’en inspirer ?

Je suis très admirative des contenus drolement intelligents d’Urbania. Au risque de paraître catastrophiste, je dirais que les agences doivent embrasser cette disruption narrative (ou périr ?). Fini les communiqués soporifiques, place aux stories punchy, aux reels percutants, aux podcasts addictifs. Les agences doivent s’emparer du dense : le court profond n’est-il pas, finalement, le plus difficile à produire ?

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  • Modernisation des formats pour rajeunir le lectorat des médias traditionnels | Christophe Jakubyszyn a comparé la rédaction des Échos à une brigade de « Top Chef » où les journalistes produisent les ingrédients et les chefs éditoriaux adaptent les contenus aux supports. Que t’inspirent ces évolutions dans l’organisation et la structuration des médias ?

On pourrait être tenté de tomber dans la caricature, en imaginant que le contenu se décline en plat gastronomique pour le print, en street food pour les réseaux, en amuse-bouche pour la newsletter. Mais Christophe Jakubyszyn, sous l’impulsion de LVMH, a orchestré une refonte admirable qui va à l’encontre de cette vision : le print n’est plus le centre névralgique. L’information reste au cœur, mais repenser la façon dont elle est consommée par les audiences visées a changé la donne. Je suis personnellement une grande fan du 18-20 dans l’app, de la newsletter de Muriel Jasor et je garde un attachement fort au scrolling du print en version PDF. Je consomme Les Échos trois fois plus qu’auparavant, et il semblerait que je ne sois pas la seule. Force est de constater que c’est plutôt bien joué de leur part ! Alors si la secret sauce des Échos est de s’inspirer de Top Chef avec plus d’horizontalité, plus d’émulation et plus de mode ‘brigades’, je vote 1000 fois pour.

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  • Réaffirmer l’indépendance de la rédaction | Selon Clémence Vatier, la secret sauce de POLITICO repose sur une haute exigence éditoriale, un positionnement non partisan et un modèle économique hybride assumé. A l’heure où on parle d’hybridation entre le paid et le earned, penses-tu que certains verrous doivent sauter ou qu’au contraire il est nécessaire de distinguer paid & earned ?

L’avenir est à une hybridation plus assumée, mais pas à un grand n’importe quoi éditorial. La clé est très certainement une transparence totale et une éthique inébranlable – encore plus à une époque où l’étau sur les libertés éditoriales se resserre. Je suis pour l’ouverture aux partenariats innovants, voire aux contenus sponsorisés de qualité, mais ne rendons pas la frontière plus ténue qu’elle ne l’est déjà. Soyons audacieux dans nos modèles, intransigeants sur nos valeurs !

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  • Agences RP : monter en stratégie pour rester pertinentes ? | Marshall Manson a conclu la conférence en affirmant que « notre industrie est construite pour l’instabilité et l’incertitude », appelant les agences RP à « monter en stratégie » pour rester pertinentes dans un monde d’influence fragmenté. Partages-tu cette conviction ?

Et Marshall a raison car alors que le monde VUCA (Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity) est derrière nous, nous sommes entrés dans le monde BANI (Brittle, Anxious, Non-linear, Incomprehensible). Dans nos métiers, si je mets de côté l’enjeu géopolitique, l’une des grandes incertitudes sur laquelle nous pouvons avoir un impact aujourd’hui, c’est l’IA. Les entreprises comme les agences ont pris le sujet sous l’angle de la lutte contre la désinformation, de la préservation de l’éthique, de l’encadrement des pratiques, de la garantie de la confidentialité et de l’optimisation de la productivité. C’est une bonne chose mais il faut voir plus loin. Je pense que la communication doit devenir IA-native. Les médias sont une source d’autorité prioritairement indexée dans l’IA. Quand on se dit que demain, tout le monde s’informera via ces moteurs conversationnels, il y a là un formidable momentum culturel à saisir pour le métier des RP ne croyez-vous pas ?

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  • Et maintenant ? | Quels enseignements tirer collectivement de ce PR Lab ? Quelles sont, selon toi, les grandes questions que nous devrions explorer pour la prochaine édition ?

Je dirais que la France fait de la résistance face aux Etats-Unis. Résistance sur la nécessité du débat d’idées. Résistance sur le regard critique face aux émetteurs d’information. Résistance sur la nécessaire transparence et éthique dans les modèles d’affaires médiatiques. Au-delà de la France, c’est toute la vieille Europe qui a sans aucun doute les atouts pour s’affirmer sur la carte de l’échiquier médiatique.

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Si je devais vous donner rendez-vous dans un an, j’aurais envie d’adresser l’ère de la communication IA-native. Oui, nous aurons tous avancé sur les cas d’usage pour optimiser notre productivité, pour accroitre la qualité et la rapidité de nos livrables, pour analyser la performance de nos dispositifs. Oui, nous aurons intégré les enjeux d’éthique et de confidentialité. Oui, nous aurons su cadrer les potentiels dérives de nos amies génératives. Mais la profession aura-t-elle réussi à opérer sa bascule culturelle ? Car c’est bien d’un « up or out » dont il est question.